mardi 15 février 2011

Nous avons pleuré à Bil'in

10 Février 2011: nous arrivons en fin de matinée à Bil’in, petit village comme tant d’autres en Cisjordanie. Une atmosphère printanière flotte sur la bourgade en ce début de mois de Février. Les oiseaux chantent, les oliviers expriment tout leur parfum. Les rues sont désertes, la plupart des échoppes sont fermés. Les fidèles écoutent le prêche, dans l’unique mosquée, alors que d’improbables étrangers commencent à arriver de tous les horizons, déguisés en Fédayins de la première heure. Chacun est venu apporter son soutien au David qui tient tête à sa manière au Goliath israélien depuis 6 années déjà.
Le silence des hauts parleurs du minaret, marque le départ d’une marche dont chacun connaît l’issue. Alors, nous cheminons main dans la main, vers ce mur de fer, avec le rêve que la campagne palestinienne retrouve ses couleurs d’antan. Les jeunes mènent la danse et se lancent à corps perdu dans la bataille avec des pierres pour seules armes. Le moment fatidique finit par arriver. Une masse de barbelés nous empêche d’aller plus loin. Insultes et projectiles fusent de toutes parts. Une masse compacte de soldats regarde imperturbablement ces enragés qu’ils fréquentent pourtant toutes les semaines. Et puis, la pierre de trop est lancée. Des coups de feux retentissent, et c’est la débandade. On ne sait où se cacher. On se tord le cou à regarder en l’air. Le danger vient du ciel : nous courrons comme des lâches pour échapper à cette pluie de fer et de gaz qui s’abat tout autour de nous. Les sifflements se font de plus en plus pressants. Nous courrons à pleines jambes à travers les feuillages, pour tromper le chasseur casqué. Enfin, cette odeur reconnaissable entre mille finit par vous prendre à la gorge et semble ne jamais vouloir quitter vos muqueuses irritées. Les quelques manifestants restés en retrait regardent, d’un air amusé, arriver ces fuyards en larme.
Ce jour là, j’ai vu des israéliens marcher avec des palestiniens. J’ai vu des Juifs essayer de parler Arabe. J’ai senti l’immense gratitude, de ces villageois téméraires, pour ceux qui ont répondu à leur appel. De ce 10 Février, je ne veux retenir que ceci. La fronde de Bil’in n’est pas un geste de haine, c’est au contraire une main tendue aux israéliens. Elle signifie : « nous voulons parler avec vous, sans ce Mur entre nous ». Je suis heureux d’avoir pu assister à cela, et j’ai une pensée émue pour ceux qui sont tombés devant cette grille qui disparaîtra tôt ou tard.




jeudi 10 février 2011

"You stole our land and you call us criminals ?"

Implantation israélienne à coté de Bethléem 
Février 2011: de tous les slogans que j’ai vu affichés sur le Mur, celui ci traduit le mieux la tragédie palestinienne. Mon but n’est pas ici, de dresser un portrait détaillé de l’occupation israélienne, des enjeux, des protagonistes. Je ne suis pas assez qualifié pour en parler, et de toutes manières, les statistiques peuvent se trouver facilement sur internet. Je voudrais vous parler de l’occupation tel que je l’ai vue, en tant que touriste subjectif. Celle qu’on voit sans nécessairement chercher à la voir. L’occupation vécue par le palestinien moyen. Ce que j’ai vu est tout sauf anecdotique autrement je ne me permettrais pas d’en parler.

L’idée m’est venue d’écrire cette note après mon retour de la ville biblique de Jericho située au cœur de la Cisjordanie. Chaque bus arabe, revenant des territoires palestiniens est systématiquement inspecté, et n’importe quel passager a dans le meilleur des cas, l’obligation de montrer ses  pièces d’identités. L’uniforme apparaît, les papiers sont levés, mis en évidence, pour que le maître d’école puisse faire son travail de contrôle. Cette fois ci, c’est une soldate qui s’en charge fraichement arrivée de France en regardant d’un air nonchalant et méprisant ces arabes comme si c’était des cafards.  Pendant ces quelques minutes d’un ridicule sans limites, elle n’aura jamais prononcé un seul mot d’arabe. Même dans les dictatures que j’ai traversées pendant mon voyage, je n’ai jamais vu un tel manque de professionnalisme. On pourrait s’attendre à voir une certaine gène de la part de cette étrangère qui perturbe le quotidien de ces gens qui après tout ne font que rentrer chez eux. Au lieu de ça, cette jeune femme, pas plus âgée que moi, remplit sa besogne tout en parlant au téléphone avec son petit ami. Un enfant pleure, un permis tombe, c’en était trop pour elle, incapable d’accorder à son interlocuteur toute l’attention nécessaire. Excédée, elle lâche insulte sur insulte dans une langue que j’étais bien sûr seul à comprendre. Cette scène fait partie de la vie palestinienne. Elle n’est pas particulièrement violente ni exceptionnelle. Elle est juste d’une banalité affligeante illustrant tout le mépris que peuvent avoir certains israéliens pour un peuple sous le joug d’une colonisation galopante.

Le trajet de Ramallah à Nablus vous donne une idée de l’étendue de celle ci. En fait, vous n’avez qu’à tourner la tête vers la première colline pour apercevoir les implantations juives. Ces villages sont les exemples paradigmatiques du principe de « Gated communities ».  Des complexes d’habitations entourés de béton, de fils barbelés et de miradors. Ces gens ont renoncé à une vie facile et agréable qu’ils auraient sûrement pu avoir à Tel-Aviv. Au lieu de ça, ils ont décidé de vivre dans des prisons pas forcements toutes spacieuses pour des motifs que j’estime être politico-religieux. Sauf que cette fois ci, le prisonnier est de l’autre coté du mur et c’est le garde qui s’est enfermé à double tour. Ces colons ne se mélangent pas avec la population locale, ne prennent pas les mêmes bus. Ce sont deux mondes juxtaposés qui en sont arrivés à un point où seule la force et la brutalité comptent.

Ce qui se passe en Palestine pose une question fondamentale : celle de l’altérité. Il faut le voir pour le croire. En discutant avec un fermier de Jericho, ce dernier m’a demandé pourquoi j’étais venu lui rendre visite, alors que tout autour, les autres peuples arabes jouissent du droit des peuples à disposer d’eux même. Embarrassé par la question, je lui ai répondu, que je voulais décrire en Europe ce que j’avais vu pendant mon séjour dans l’espoir que cela fasse une différence.  D’un air sceptique, il me coupa d’un trait, pour me dire « There is no solution » avec tout le fatalisme qu’on peut imaginer. La conversation s’acheva sur un « inch allah » sans convictions.



samedi 5 février 2011

Quand l'art devient un acte de Résistance.

4 Février 2011, Bethléem : je n'étais pas encore né lorsque le Mur de Berlin est tombé, mais notre génération a grandi avec le sentiment qu'une page s'était définitivement tournée ce fameux 9 Novembre 1989. Au Moyen-Orient, le "Mur de l'apartheid" pour les uns, et "le Mur de Sécurité" pour les autres est le symbole de cette amnésie collective que nous connaissons que trop bien. Lorsqu'on marche le long de cette chimère de béton, on a l'impression que l'histoire se répète. Empêcher deux peuples de se rencontrer, c'est leur donner des raisons de se détester mutuellement. Comment connaitre l'autre et le respecter, si le seul visage qu'il souhaite vous montrer est un écran gris et fade?  

L'impact du Mur dépasse largement le cadre du symbolisme. C'est une nouvelle insulte faite au droit international en pérennisant durablement la colonisation israélienne dans les territoires occupés. Le tracé, traverse cultures et quartiers résidentiels. Des habitants se sont retrouvés ainsi du jour au lendemain littéralement à l'ombre, privés d'horizon. Même à l'époque des Bantoustans et de l'Apartheid en Afrique du Sud, pareilles mesures n'avaient été prises. La réponse des poètes, gaffeurs face à cette tragédie morale, n'est peut être pas la plus efficace à court terme, mais en attendant le bulldozer, la plume est un moyen pacifique de dénoncer l'indéfendable.