Elles viennent des Philippines, du Sri Lanka, ou encore d’Ethiopie. Elles font partie de la vie quotidienne libanaise. Elles font la cuisine, sont responsables des courses, et participent même à l’éducation des très jeunes générations. En un mot, n’importe quelle corvée rabaissante, ou contraignante pour un être humain, « l’animal domestique aux yeux bridés » va la faire sans broncher. Ceci est loin de concerner uniquement les hautes couches sociales. A Furn el Shebbak, un quartier chrétien qui tranche avec l’opulence d'Achrafieh, on peut voir ces nouvelles damnées de la terre.
Les rapports de domination sont universels, ils concernent toutes les sociétés du Sud comme du Nord. Le phénomène est tellement lié à la couleur de peau, qu’on est en droit de se demander si ce n’est l’expression d’un racisme latent. En 2006, un sondage rendu public par l’association Human Rights Watch affirmait que sur 600 travailleuses interrogées, 31% d’entre elles ne pouvaient sortir du logis. D’ailleurs, à leur arrivée, on leur confisque leurs documents de voyage jusqu’à ce que leur contrat de travail soit expiré. L’accès à certaines piscines privées leur est refusé, car selon les patrons « les clients seraient dégoutés de nager avec des noirs ». Ceci touche également les boites de nuits, où il arrive régulièrement que les personnes un peu trop bronzées se voient refuser l'accès sauf si c’est pour faire le ménage, ça va de soit.
Les discussions politiques sont marquées par des oppositions confessionnelles. On se querelle sur des sujets qui ne concernent en rien la vie quotidienne du citoyen lambda, et pourtant la monarchie parlementaire est continuellement réélue. Il suffit de prendre l’Orient le Jour, pour constater qu’on se moque bien de cette exploitation silencieuse qui ne fait pas de vagues. Un député qui aurait le mérite de lancer un vrai débat, sur ce qui ressemble à mes yeux à de l’esclavage moderne, mettrait le doigt sur une vraie question de société et romprait avec le populisme dominant.
Les mauvais traitements infligés aux employés de maison ne concernent pas tous les foyers bien entendu. Mais le taux de suicide anormalement haut parmi cette catégorie d’étrangers, ne doit pas rester inconnu du grand public. On estime qu’une domestique trouve la mort chaque semaine, en tentant d’échapper à son sort, ou sous les coups, dans l’indifférence totale des autorités, qui pérennisent par leur silence, ce commerce malsain et morbide.
Le Liban est un pays agréable. On y vit bien, à condition d'en avoir les moyens. N’importe quel étudiant en échange, moi le premier, vous dira qu’il a été bien accueilli. Mais prenons au moins 5 bonnes minutes pour tenter le temps d’un instant de s’imaginer à quoi doit ressembler un échange d’un an d’une immigrée Sri lankaise qui reverse presque l’intégralité de son maigre salaire à sa famille restée au pays.
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