lundi 12 décembre 2011

Un Bantoustan en Israël

Dimanche 11 Décembre.  Camp de réfugié de Shuafat. Jérusalem-Est.

L'entrée du camp
Shuafat est le seul camp de réfugiés palestinien sous la juridiction de Jérusalem. Les habitants ont le statut de résidents permanents, mais ne sont pas titulaires de la nationalité israélienne. 

Je voulais d'abord y aller pour me rendre compte de l'étendue du mur d'enceinte qui encercle depuis peu l'intégralité de la zone, et effectivement les 11 000 résidents vivent désormais à l'ombre. Comme partout dans les territoires occupés, l'entrée du checkpoint principal est une véritable passoire, et je n'ai pas été inquiété par les soldats qui contrôlent les sorties.  
L'odeur de pourriture qui règne dancs ce camp est saisissante. Les  militaires israéliens semblent même en souffrir. L'hygiène y est déplorable du fait d'une situation de surpeuplement couplée à une mauvaise gestion des déchets. Pour moi, c'était comme retourner à Sabra et Chatila. A une dizaine de minutes en bus des quartiers chics de la ville,  Shuafat intra-muros illustre l'incroyable contraste entre l'Est et l'Ouest.

Après quelques minutes d'égarement, je me suis retrouvé en plein milieu d'une émeute. C'est assez rare pour un Dimanche. Comme dans beaucoup de manifestations ici, les plus jeunes se retrouvent  de plein gré, en première ligne face aux forces de sécurité. Des enfants à peine plus âgés que mon frère s'empressent de briser des blocs de pierre sur le sol avant de lancer les débris sur la troupe. Je me demande parfois ce qui les pousse à prendre tant de risques. Est-ce l'expression d'un profond désespoir ou la quête universelle d'adrénaline propre à l'adolescence?

Après avoir montré patte blanche devant le garde en faction, j'ai pu quitter cet enclos humain sans grandes difficultés avec le sentiment que beaucoup d'israéliens ne connaissent pas le prix de leur sécurité.

Un jeune lanceur de pierres anonyme

dimanche 11 décembre 2011

Nabi Saleh: reflection on humanity

Je connais Andrew Haas depuis mon arrivée à Bethléem. Il habite à l'étage supérieur du même immeuble. Il a assisté à la manifestation hebdomadaire de Nabi Saleh le Vendredi 9 Décembre. Voici son témoignage:  
  
 Recueillement autour de la tombe de Mustafa Tamimi
Friday morning, December 9th, my friend and I set out to experience a West Bank protest. It was a first for both of us, seeing as I have Arabic class every Friday, and he lives in Tel Aviv. As protest virgins, we had no idea what to expect. What did a confrontation look like? How do people protest? How would the soldiers react? I’d heard tales of people dodging tear gas canisters and running from the Israeli Defense Force (IDF). After four months of living in Bethlehem, I wanted to experience it for myself.

We ended up attending the protest in Nabi Saleh, coincidently on its two year anniversary date of weekly protests. The source of the conflict is the confiscation of much of the town’s land and it’s only water well due to the construction of the nearby illegal Israeli settlement of Halamish.  Furthermore, the IDF under the mandate to protect Israeli citizens (the occupants of the illegal settlements), makes frequent night raids, surprise home invasions where children are dragged from their beds for interrogation, documentation and sometimes detention.
Every Friday, the townspeople and activists gather and attempt to march to the stolen water well, but as I was to experience, rarely make it out of their village.
After noontime prayers, the protest began. We walked down the main road and towards the highway leading to the well. We didn’t get far. Shortly after rounding a bend, we found the IDF waiting for us. I was a little surprised to see the soldiers so early in our march, still within the town precinct and still quit a distance from the well. Obviously intent on stopping our forward progress, the army commenced a volley of tear gas canisters and rubber bullets. In response, some of the local kids and youths began returning the military crowd retardants with stones along the road.
The inequality of their fight struck me.  It was David vs. Goliath, inaccurate slingshots vs. scoped rifles firing lead-cored rubber bullets, taunts and jeering vs. concussion grenades and tear gas, and teens in t-shirts vs. soldiers in body armor.  My image of myself as fearless faded as I watched little girls lightly skip out of the way of concussion grenades, and boys compete over who threw the tear gas canisters up wind. To me, this was the next world war. For them, this was a regular day off from school.
What seemed like a game, became deadly serious when a young man at the protest, Mustafa Tamimi, was shot in the face by a high velocity tear gas canister from very close range (approx. 8-10 meters). The ambulance that had been at the ready for the protest earlier, was already in use. Fellow protesters lifted Mustafa’s limp body into a passenger van.
Like our protest march, the bus didn’t make it very far. For some reason, the soldiers felt it appropriate to detain the vehicle at the edge of town. I watched and waited with tears in my eyes for the van to whisk Mustafa to a place that could attend to his grievous wounds. 5 minutes. 10 minutes. 15 minutes. I watched as his family and women in the village ran wailing and screaming towards the soldiers begging them to let him go. More time passed. Finally, an Israeli ambulance shuttled Mustafa Tamimi to the hospital.
A Palestinian aid giver on her way back from having been with Mustafa, walked straight up to the soldiers and began to vent.
“You killed an innocent man today! Do you even f________ care? You animals, that’s all you are! You don’t have souls! You’re just doing what Hitler did to you, you Nazis!”
There was more said, but I can’t remember her exact words.
I felt her anger. As she spoke my sadness only deepened. Like the aid worker, I too wanted more than anything to see the soldiers show a sign of remorse—to feel the gravity of their actions, acknowledge the pain they were in no small way responsible for. However, in the face of screamed accusations, I realized that their chance for understanding was going the way of their diminished humanity.
Yesterday I learned that Mustafa Tamimi died in the hospital. Seeing as the Israeli media spin has commenced with a vengeance, it is questionable whether there will be justice for what I experienced. This doesn’t change the facts:

Men shouldn’t die while walking to their own water well

Children shouldn’t become accustomed to tear gas/rubber bullets   in their backyards

Soldiers shouldn’t be ordered to protect stolen property

Another’s humanity should never be denied


Refuse to be Enemies

Andrew Haas

lundi 5 décembre 2011

Al-Quds

Café Hillel, Jaffa road

Jérusalem, me fait penser à Beyrouth sans la rue de Damas pour les connaisseurs. Les religions se croisent mais ne se regardent pas. En l'espace d'une centaine de mètres, on peut passer de l'Hébreu à l'Arabe, de la kippa à la djellaba, en un claquement de doigts. A Jérusalem, le Mur n'est pas fait de briques et de béton armé, il est dans la tête des gens. Chacun chez soi, chacun son quartier et c'est très bien comme ça. Depuis, ma première visite, la fameuse Jaffa street a beaucoup changé. Le tramway si controversé s'est progressivement intégré dans cette ville faite de pierre blanche. Juifs et arabes l'empruntent, mais ne descendent pas aux mêmes arrêts...

vendredi 25 novembre 2011

Entretien avec DARG team pour le journal PNN.

DARG team, les Da Arabian Revolutionary Guys, viennent d’entamer une tournée en Suisse, avec des concerts prévus à Bâle le 30 Novembre prochain, le 3 Décembre à Zürich en passant par Berne et Saint-Gall respectivement le 1er  et le 2 Décembre 2011. Le groupe a été révélé au public suisse suite à la diffusion d’un documentaire en 2010 sur l’opération Plomb Durci. Même s’ils s’en défendent, les quatre rappeurs originaires de Gaza font figures de précurseur dans le milieu du Hip-Hop palestinien qui en est encore à ses balbutiements.  

Darg team en tournée en Suisse (Photo:Darg Team)


Cette tournée en suisse m'a donné envie d'en savoir d'avantage sur les origines de ce projet à la fois original et instructif. Entretien avec ces figures insolites de la culture palestinienne :


PNN: On connaissait les Ramallah Underground, mais vous semblez être l’avant-garde du rap en Palestine, où avez vous puisé l’inspiration nécessaire à l’écriture de vos textes ?

DARG TEAM: En effet, Ramallah underground a sa réputation, mais nous ne nous considérons pas comme des précurseurs. Notre projet nous tient à cœur parce que notre musique cherche à décrire notre vie quotidienne à la fois à Gaza mais aussi à l’étranger. Notre inspiration est l’expression de la rue et des gens qui gravitent autour de nous. Les artistes qui nous ont précédés, les écrivains, mais aussi les gazaouis nous poussent à raconter l’histoire de toutes ces vies confrontées à l’occupation et la répression.


PNN: Depuis 2007, date à laquelle vous avez formé le groupe, comment avez vous réussi à vous imposer dans une société qu’on imagine souvent en Europe, comme conservatrice et traditionnelle ? Pensez vous que d’autres suivront ?

C’est vrai que la société gazaouite est conservatrice et traditionnelle. Le Hip-Hop est encore trop souvent considéré comme une anomalie culturelle, mais  à ne pas s’y tromper Gaza regorge de talents et de créativité. Nous nous efforçons  de combiner musique orientale et rythmiques occidentales en y ajoutant les rimes propres à langue arabe. Ce mélange nous aide à représenter une culture dont nous avons héritée. Nous sommes la continuation de ce qui a été initié par nos pairs. Nous ne pensons  pas  que le style qui est le notre sera suivi, mais nous avons peut être, avec d’autres, prouvé que le rap était une forme d’expression non violente pour transmettre un message. Nous sommes fiers d’en être les représentants.


PNN: Savez-vous si vous avez un impact conséquent sur la société palestinienne ?


Quand nous marchons dans les rues de Gaza, il nous arrive d’entendre des jeunes fredonner nos chansons. Nombreux sont ceux qui s’arrêtent pour nous témoigner des signes de respect, ou viennent nous demander quand sortira le prochain album. Alors oui, nous avons un impact à Gaza. Tout d’abord, parce que c’est là que tout a commencé, c’est de là que nous puisons notre inspiration. Mais grâce à internet, notre musique et notre message, ont connu une diffusion inespérée. Les nouveaux médias nous ont permis de nous rendre dans des villes où nous ne serions jamais allés si on ne nous y avait pas invité.  Nous travaillons en collaboration avec des artistes venus d’Allemagne, d’Haïti ou même des Etats-Unis.

PNN : Votre musique est de toute évidence politiquement engagée. Les paroles de vos chansons témoignent d’un vif désir d’unité entre les palestiniens. Que pensez-vous d’une possible réconciliation entre le Hamas et le Fatah ?

La politique est notre pain quotidien, ceci explique pourquoi notre musique en est si imprégnée. Nous vivons dans l’attente de cette union. Nous partageons le même objectif à savoir la libération de la Palestine. Ceux qui brandissent la carte démocratique le font pour mieux duper l’esprit des gens, car quand les Palestiniens donnent au monde le meilleur exemple de démocratie, ils se retrouvent enfermés par l’une des armées les plus puissantes au monde.


Entretien traduit de l'Anglais réalisé le 23 Novembre 2011.


mardi 15 février 2011

Nous avons pleuré à Bil'in

10 Février 2011: nous arrivons en fin de matinée à Bil’in, petit village comme tant d’autres en Cisjordanie. Une atmosphère printanière flotte sur la bourgade en ce début de mois de Février. Les oiseaux chantent, les oliviers expriment tout leur parfum. Les rues sont désertes, la plupart des échoppes sont fermés. Les fidèles écoutent le prêche, dans l’unique mosquée, alors que d’improbables étrangers commencent à arriver de tous les horizons, déguisés en Fédayins de la première heure. Chacun est venu apporter son soutien au David qui tient tête à sa manière au Goliath israélien depuis 6 années déjà.
Le silence des hauts parleurs du minaret, marque le départ d’une marche dont chacun connaît l’issue. Alors, nous cheminons main dans la main, vers ce mur de fer, avec le rêve que la campagne palestinienne retrouve ses couleurs d’antan. Les jeunes mènent la danse et se lancent à corps perdu dans la bataille avec des pierres pour seules armes. Le moment fatidique finit par arriver. Une masse de barbelés nous empêche d’aller plus loin. Insultes et projectiles fusent de toutes parts. Une masse compacte de soldats regarde imperturbablement ces enragés qu’ils fréquentent pourtant toutes les semaines. Et puis, la pierre de trop est lancée. Des coups de feux retentissent, et c’est la débandade. On ne sait où se cacher. On se tord le cou à regarder en l’air. Le danger vient du ciel : nous courrons comme des lâches pour échapper à cette pluie de fer et de gaz qui s’abat tout autour de nous. Les sifflements se font de plus en plus pressants. Nous courrons à pleines jambes à travers les feuillages, pour tromper le chasseur casqué. Enfin, cette odeur reconnaissable entre mille finit par vous prendre à la gorge et semble ne jamais vouloir quitter vos muqueuses irritées. Les quelques manifestants restés en retrait regardent, d’un air amusé, arriver ces fuyards en larme.
Ce jour là, j’ai vu des israéliens marcher avec des palestiniens. J’ai vu des Juifs essayer de parler Arabe. J’ai senti l’immense gratitude, de ces villageois téméraires, pour ceux qui ont répondu à leur appel. De ce 10 Février, je ne veux retenir que ceci. La fronde de Bil’in n’est pas un geste de haine, c’est au contraire une main tendue aux israéliens. Elle signifie : « nous voulons parler avec vous, sans ce Mur entre nous ». Je suis heureux d’avoir pu assister à cela, et j’ai une pensée émue pour ceux qui sont tombés devant cette grille qui disparaîtra tôt ou tard.




jeudi 10 février 2011

"You stole our land and you call us criminals ?"

Implantation israélienne à coté de Bethléem 
Février 2011: de tous les slogans que j’ai vu affichés sur le Mur, celui ci traduit le mieux la tragédie palestinienne. Mon but n’est pas ici, de dresser un portrait détaillé de l’occupation israélienne, des enjeux, des protagonistes. Je ne suis pas assez qualifié pour en parler, et de toutes manières, les statistiques peuvent se trouver facilement sur internet. Je voudrais vous parler de l’occupation tel que je l’ai vue, en tant que touriste subjectif. Celle qu’on voit sans nécessairement chercher à la voir. L’occupation vécue par le palestinien moyen. Ce que j’ai vu est tout sauf anecdotique autrement je ne me permettrais pas d’en parler.

L’idée m’est venue d’écrire cette note après mon retour de la ville biblique de Jericho située au cœur de la Cisjordanie. Chaque bus arabe, revenant des territoires palestiniens est systématiquement inspecté, et n’importe quel passager a dans le meilleur des cas, l’obligation de montrer ses  pièces d’identités. L’uniforme apparaît, les papiers sont levés, mis en évidence, pour que le maître d’école puisse faire son travail de contrôle. Cette fois ci, c’est une soldate qui s’en charge fraichement arrivée de France en regardant d’un air nonchalant et méprisant ces arabes comme si c’était des cafards.  Pendant ces quelques minutes d’un ridicule sans limites, elle n’aura jamais prononcé un seul mot d’arabe. Même dans les dictatures que j’ai traversées pendant mon voyage, je n’ai jamais vu un tel manque de professionnalisme. On pourrait s’attendre à voir une certaine gène de la part de cette étrangère qui perturbe le quotidien de ces gens qui après tout ne font que rentrer chez eux. Au lieu de ça, cette jeune femme, pas plus âgée que moi, remplit sa besogne tout en parlant au téléphone avec son petit ami. Un enfant pleure, un permis tombe, c’en était trop pour elle, incapable d’accorder à son interlocuteur toute l’attention nécessaire. Excédée, elle lâche insulte sur insulte dans une langue que j’étais bien sûr seul à comprendre. Cette scène fait partie de la vie palestinienne. Elle n’est pas particulièrement violente ni exceptionnelle. Elle est juste d’une banalité affligeante illustrant tout le mépris que peuvent avoir certains israéliens pour un peuple sous le joug d’une colonisation galopante.

Le trajet de Ramallah à Nablus vous donne une idée de l’étendue de celle ci. En fait, vous n’avez qu’à tourner la tête vers la première colline pour apercevoir les implantations juives. Ces villages sont les exemples paradigmatiques du principe de « Gated communities ».  Des complexes d’habitations entourés de béton, de fils barbelés et de miradors. Ces gens ont renoncé à une vie facile et agréable qu’ils auraient sûrement pu avoir à Tel-Aviv. Au lieu de ça, ils ont décidé de vivre dans des prisons pas forcements toutes spacieuses pour des motifs que j’estime être politico-religieux. Sauf que cette fois ci, le prisonnier est de l’autre coté du mur et c’est le garde qui s’est enfermé à double tour. Ces colons ne se mélangent pas avec la population locale, ne prennent pas les mêmes bus. Ce sont deux mondes juxtaposés qui en sont arrivés à un point où seule la force et la brutalité comptent.

Ce qui se passe en Palestine pose une question fondamentale : celle de l’altérité. Il faut le voir pour le croire. En discutant avec un fermier de Jericho, ce dernier m’a demandé pourquoi j’étais venu lui rendre visite, alors que tout autour, les autres peuples arabes jouissent du droit des peuples à disposer d’eux même. Embarrassé par la question, je lui ai répondu, que je voulais décrire en Europe ce que j’avais vu pendant mon séjour dans l’espoir que cela fasse une différence.  D’un air sceptique, il me coupa d’un trait, pour me dire « There is no solution » avec tout le fatalisme qu’on peut imaginer. La conversation s’acheva sur un « inch allah » sans convictions.



samedi 5 février 2011

Quand l'art devient un acte de Résistance.

4 Février 2011, Bethléem : je n'étais pas encore né lorsque le Mur de Berlin est tombé, mais notre génération a grandi avec le sentiment qu'une page s'était définitivement tournée ce fameux 9 Novembre 1989. Au Moyen-Orient, le "Mur de l'apartheid" pour les uns, et "le Mur de Sécurité" pour les autres est le symbole de cette amnésie collective que nous connaissons que trop bien. Lorsqu'on marche le long de cette chimère de béton, on a l'impression que l'histoire se répète. Empêcher deux peuples de se rencontrer, c'est leur donner des raisons de se détester mutuellement. Comment connaitre l'autre et le respecter, si le seul visage qu'il souhaite vous montrer est un écran gris et fade?  

L'impact du Mur dépasse largement le cadre du symbolisme. C'est une nouvelle insulte faite au droit international en pérennisant durablement la colonisation israélienne dans les territoires occupés. Le tracé, traverse cultures et quartiers résidentiels. Des habitants se sont retrouvés ainsi du jour au lendemain littéralement à l'ombre, privés d'horizon. Même à l'époque des Bantoustans et de l'Apartheid en Afrique du Sud, pareilles mesures n'avaient été prises. La réponse des poètes, gaffeurs face à cette tragédie morale, n'est peut être pas la plus efficace à court terme, mais en attendant le bulldozer, la plume est un moyen pacifique de dénoncer l'indéfendable. 







dimanche 30 janvier 2011

Flash back.


30 Janvier 2010: cinq mois que je suis au Liban et j’ai toujours l’impression que je viens d’arriver.  Les « Ahla w sahla »  d’usage sont là pour me le rappeler.  Alors que je m’apprête à traverser un Moyen-Orient en pleine ébullition pour un périple de 18 jours, je suis ravi de dire que je quitte le pays du cèdre, avec l’unique regret de ne pas être resté plus longtemps. Ce semestre universitaire fait de merveilleuses rencontres et d’expériences parfois chaotiques, aura laissé des souvenirs impérissables : l’expédition chevaleresque  dans le fief de Samir Geagea avec mon ami Caspar qui au passage a bien failli écraser un vendeur de fruits et légumes, le Talal hôtel,  la visite du monastère de Mar Moussa dans le désert syriaque sont autant de moments inestimables.
J’aurais aimé ne retenir du Liban que la voie matinale de Ferouz dans les services, ou encore la  volupté du fameux Zaatar Labné en passant par les innombrables « Kifak ça va ? ». J’aurais voulu ne décrire que la sensualité des femmes libanaises  à mes amis restés en Suisse.  Mais  la politique en a voulu autrement comme souvent ici.  Le Liban que j’ai vu n’est pourtant pas celui qu’on voit dans les reportages télévisés teintés de phrases chocs pour capter un audimat en manque de sensationnel.  C’est un peu le but de tout voyage que de tenter de confronter idées reçues et réalité.  Beaucoup de gens en ont assez d’entendre les vieilles rengaines d’une génération d’hommes politiques corrompus qui a toujours un pied dans la guerre civile. Les alliances se font et se défont  au rythme de l’opportunisme triomphant qui bat la mesure. Mais la vie continue. Un premier ministre part, un autre le remplace, so what ?  Hezbollah ou pas hezbollah, Mikati ou Hariri,  8 ou 14,  ça sera toujours pour moi le Liban, et quoiqu’il en soit  je reviendrai, c’est promis, wala ! 

dimanche 23 janvier 2011

dimanche 2 janvier 2011

Maids in Lebanon


Elles viennent des Philippines, du Sri Lanka, ou encore d’Ethiopie.  Elles font partie de la vie quotidienne libanaise. Elles font la cuisine, sont responsables des courses, et participent même à l’éducation des très jeunes générations. En un mot, n’importe quelle corvée rabaissante, ou contraignante pour un être humain, « l’animal domestique aux yeux bridés » va la faire sans broncher. Ceci est loin de concerner uniquement les hautes couches sociales. A Furn el Shebbak, un quartier chrétien qui tranche avec l’opulence d'Achrafieh, on peut voir ces nouvelles damnées de la terre.  

Les rapports de domination sont universels, ils concernent toutes les sociétés du Sud comme du Nord. Le phénomène est tellement lié à la couleur de peau, qu’on est en droit de se demander si ce n’est l’expression d’un racisme latent. En 2006, un sondage rendu public par l’association Human Rights Watch affirmait que sur 600 travailleuses interrogées, 31% d’entre elles ne pouvaient sortir du logis.  D’ailleurs, à leur arrivée, on leur confisque leurs documents de voyage jusqu’à ce que leur contrat de travail soit expiré. L’accès à certaines piscines privées leur est refusé, car selon les patrons « les clients seraient dégoutés de nager avec des noirs ». Ceci touche également les boites de nuits, où il arrive régulièrement que les personnes un peu trop bronzées se voient refuser l'accès sauf si c’est pour faire le ménage, ça va de soit.

Les discussions politiques sont marquées par des oppositions confessionnelles. On se querelle sur des sujets qui ne concernent en rien la vie quotidienne du citoyen lambda, et pourtant la monarchie parlementaire est continuellement réélue. Il suffit de prendre l’Orient le Jour,  pour constater qu’on se moque bien de cette exploitation silencieuse qui ne fait pas de vagues. Un député qui aurait le mérite de lancer un vrai débat, sur ce qui ressemble à mes yeux à de l’esclavage moderne,  mettrait le doigt sur une vraie question de société et romprait avec le populisme dominant.   

Les mauvais traitements infligés aux employés de maison ne concernent pas tous les foyers bien entendu.  Mais le taux de suicide anormalement haut parmi cette catégorie d’étrangers,  ne doit pas rester inconnu du grand public. On estime qu’une domestique trouve la mort chaque semaine, en tentant d’échapper à son sort, ou sous les coups, dans l’indifférence totale des autorités, qui pérennisent par leur silence, ce commerce malsain et morbide.

Le Liban est un pays agréable. On y vit bien, à condition d'en avoir les moyens. N’importe quel étudiant en échange, moi le premier, vous dira qu’il a été bien accueilli.  Mais prenons au moins 5 bonnes minutes pour tenter le temps d’un instant de s’imaginer à quoi doit ressembler un échange d’un an d’une immigrée Sri lankaise qui reverse presque l’intégralité de son maigre salaire à sa famille restée au pays. 

Pour aller plus loin: